Elisabeth Kübler Ross distingue 5 phases dans le processus d’acceptation de la mort (la sienne ou celle d’un proche) : le refus, la colère, le marchandage, la dépression, l’acceptation.
Bien sûr, tout le monde ne passe pas par ces différentes étapes, ni nécessairement dans cet ordre. Toutefois, avoir connaissance de ces étapes peut s’avérer utile, pour avoir quelques points de repères. Ils pourront faciliter aux personnes touchées par le deuil – ou leurs proches – la compréhension des manifestations émotionnelles attachées.
Le déni : le refus de la mort comme mécanisme de défense
Le déni, une étape généralement assez courte, survient au moment du choc lorsque la personne apprend ou réalise ce qui lui arrive. À ce moment, son émotion est très forte, elle est incapable de croire à la réalité et la refuse.
Ses manifestations – La personne peut sembler dépassée, silencieuse et même ahurie. Elle exprime aussi sa stupéfaction disant par exemple : « Ce n’est pas possible!», « Les médecins se sont trompés, il y a erreur de diagnostic.», « Cela ne peut pas nous arriver à nous!», « Qu’est-ce que nous avons fait pour que cela nous arrive ?», « Mon Dieu, pourquoi nous ?»
Le déni peut aussi prendre la forme de réflexions du genre: « Cela ne se peut pas, il n’était pas malade ou elle n’était qu’un peu fatiguée », « Non, non, c’est impossible, il travaillait encore la semaine dernière.», « Elle ne peut pas être malade, nous devions partir en voyage la semaine prochaine…» Ce départ paraît si inconcevable que la personne refuse d’y croire. À ce moment, cette négation irréaliste devient un moyen de protection contre une réalité trop brutale.
Quelques suggestions – Lorsque la personne vit cet état de choc, elle peut avoir besoin de temps pour réaliser. L’entourage doit avant tout l’écouter, lui exprimer sa compréhension pour le bouleversement que lui cause cette nouvelle traumatisante et ne pas confronter l’irréalisme ou l’illogisme de ses propos .
Le rituel des obsèques permet le plus souvent d’intégrer le départ de la personne aimée, de conscientiser sa mort. Les préparatifs de la cérémonie sont autant d’actes à poser qui font voir la réalité en face, tout en occupant assez pour ne pas laisser le temps d’y penser.
Si le déni persiste, les proches de la personne pourront progressivement, avec beaucoup de doigté, l’amener à plus de réalisme afin qu’elle puisse faire face aux responsabilités inhérentes à la situation.
Ce moment du deuil est une tentative de faire le lien entre le passé et le futur.« On cherche à retrouver l’être aimé, à faire perdurer notre relation avec lui. On fait vivre son souvenir à travers les petites choses du quotidien : porter ses accessoires, son parfum, revoir ses photos, réécouter son annonce de répondeur, lui parler… »
La colère : rencontre avec son impuissance
Une fois la phase de sidération passée, c’est souvent la colère qui s’exprime en premier. Quelque chose est arrivé qui, selon la personne confrontée au décès, n’aurait pas dû se produire. La colère peut être dirigée contre le proche disparu (qui n’aurait pas dû mourir), contre elle-même (qui aurait dû l’en empêcher), contre d’autres, la vie, ou Dieu si on est croyant.
La colère est une réaction violente à la prise de conscience de la perte qui survient. C’est une réaction qui va de l’intérieur vers l’extérieur et risque ainsi de toucher l’entourage. Elle se manifeste par un sentiment d’emportement, d’indignation face à l’épreuve subie. Cette émotion vive permet à la personne de mobiliser son énergie pour faire face à la situation.
À ce moment, peut aussi apparaître un sentiment de culpabilité qui amène la personne en deuil à se demander quelle est sa responsabilité dans cette épreuve.
Ses manifestations – La personne en colère exprime son indignation par des pleurs, des reproches tournés vers elle-même ou vers les autres.
Cette réaction se manifeste même parfois sur un ton élevé, mais aussi par des comportements d’agitation, de va-et-vient, de poing serrés ou même levés, traduisant sa violente réaction.
La personne endeuillée peut sembler en vouloir à tout le monde et même chercher des boucs émissaires dans la famille ou parmi les soignants ce qui n’est pas facile à vivre. Elle peut par exemple déclarer « Si le médecin avait fait son travail nous n’en serions pas là», « Si les infirmières avaient été plus attentives, elles auraient vu la gravité de son état.».
La culpabilité peut même être reportée sur la personne malade ou décédée. On peut parfois entendre « Je lui disais aussi de se faire examiner, si elle m’avait écouté, nous ne vivrions pas cela.»
Mais l’endeuillé peut aussi s’imputer cette responsabilité en déclarant « Je n’ai pas été assez vigilant, j’aurais dû voir qu’elle était malade.» Ou « Je n’étais pas une bonne épouse, je n’ai pas vu sa fatigue, je n’ai pas compris ses besoins.»
Quelques suggestions – La colère, qui se manifeste par des comportements impulsifs et même agressifs, est avant tout la manifestation d’un grand sentiment d’impuissance. Il est important que cette émotion puisse s’exprimer, peu importe le quand dira-t-on. Car si ces émotions violentes ne trouvent pas à s’exprimer, elles risquent de s’imprimer et de laisser des stigmates profondes et durables.
À cette étape, l’écoute de l’entourage est primordiale. La personne est dépassée par son malheur et ses propos peuvent être excessifs, mais il est important de la laisser s’exprimer. Tout en l’aidant à mieux réaliser ce qui se passe, en lui disant que dans une telle circonstance, éprouver de la colère est légitime, lui manifester une compréhension profonde pour son chagrin et pour les difficultés qui l’accablent. Sans remettre en question ses paroles véhémentes, l’entourage peut aussi évoquer avec elle son sentiment de culpabilité et lui refléter sa non- responsabilité personnelle dans cette situation inévitable.
Le marchandage : tentative de recherche désespérée
Le marchandage est une phase de remise en question, d’interrogations qui conduit la personne à chercher des solutions désespérées, souvent même illogiques. Elle est particulièrement présente dans le cas de la longue maladie d’un proche. Cette étape permet pour un temps, un dérivatif au malheur et entretient une petite lueur d’espoir qui redonne un peu d’énergie à la personne endeuillée.
Ses manifestations – Devant cette épreuve qu’elle ne peut accepter, la personne en souffrance se demande qu’est ce qui aurait pu ou pourrait empêcher cet inexorable dénouement», «Si j’avais été là, cela ne se serait pas produit», « Qu’est-ce qui aurait dû être fait pour éviter ce drame ?», « À quoi ou à qui pourrais-je recourir pour changer la situation ?», « Quelle prière ou quel pèlerinage pourrait se révéler agissant ?», « Mon amie connaît un guérisseur, si on lui demandait de venir?» les solutions les plus farfelues pourront être évoquées, par exemple : « Il y a une nouvelle molécule annoncée sur Internet, ce serait peut-être le traitement miracle.»
Quelques suggestions – Il nous faut comprendre que dans une situation aussi désespérée, la personne en désarroi ne sait vers qui ou vers quoi se tourner. Sa souffrance est intense et elle cherche des moyens de l’apaiser. À cette étape, l’entourage, tout en se mettant à l’écoute des tentatives futiles de solutions, doit exprimer à la personne en deuil qu’il comprend sa volonté désespérée de vouloir changer une situation insoutenable et que cette quête illusoire est en fait une preuve d’amour pour l’être cher.
Puis, l’entourage peut, progressivement et délicatement, l’aider à prendre conscience du côté illusoire de sa recherche. Il est important ici d’être respectueux du rythme de la personne et de ne pas être trop confrontant.
Il est important aussi de demeurer vigilant pendant cette période afin d’éviter dans la mesure du possible les dérives graves ou l’exploitation par des charlatans de cette quête.
Vécu dépressif : traverser la souffrance
Après l’échec de la négociation avec la souffrance commence une phase de dépression. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une dépression mais d’un “vécu dépressif”, tout à fait classique à ce moment de deuil et nécessaire au processus.
Le vécu dépressif est une phase parfois assez longue où la personne ressent tout le poids psychologique et même physique de l’épreuve à laquelle elle a été confrontée. Elle découvre que non seulement son chagrin dure, mais qu’il s’intensifie. Cette phase dépressive au cours du deuil est normale. Il faut rester toutefois resté vigilant à ce qu’elle ne se transforme pas en véritable dépression. Plus la personne parviendra à exprimer et écouter ses besoins pendant cette phase du deuil, mieux l’acceptation se fera, et avec elle avec, un premier pas vers la résilience.
Ses manifestations – Elles peuvent être multiples :
Des problèmes de sommeil : des difficultés d’endormissement, des réveils fréquents au cours de la nuit, un réveil très matinal tous les jours (c’est à dire vers 3 – 4 – 5 heures du matin, sans pouvoir se rendormir); Une perte d’appétit avec une perte de poids ou plus rarement, une augmentation de l’appétit avec une prise de poids; Une fatigue prolongée (appelée « asthénie »), une grande lassitude ; Une tristesse accompagnée d’une grande difficulté à se projeter dans l’avenir. Une irritabilité avec une perte de patience pour les petits tracas de la vie. Une perte d’intérêt globale pour les choses qui faisaient plaisir habituellement. Une baisse de la libido. Des difficultés de concentration ou d’apprentissage, des trous de mémoire, une impression de « tête vide »; Il peut exister des idées suicidaires, mais leur mise en œuvre reste peu élaborée, même si elles sont persistantes.
Même au cœur du vécu dépressif, il persiste un minimum de fonctionnement affectif, social et professionnel. Ce fonctionnement est relativement satisfaisant, en dépit des efforts qu’il nécessite pour faire face aux exigences du quotidien.
Le vécu dépressif évolue, de façon normale, par vagues successives alternant des gouffres de désespoir et des temps de répit où l’on parvient à faire face : l’alternance de « Je vais mal, je vais mieux, je vais mal, je vais mieux… etc. » est caractéristique du vécu dépressif du deuil.
On apprend progressivement à reconnaître ces vagues successives qui tendent à décroître en fréquence et en intensité au fil du temps, même si elles persistent parfois pendant des mois ou des années. Même si la tonalité générale est très triste et pesante dans le vécu dépressif, la personne reste malgré tout sensible et réactive aux événements heureux ou agréables, aussi brefs soient-ils (un dîner entre amis de cœur, la visite d’un de ses enfants, une promenade dans un lieu paisible…). Même si cela est difficile, il persiste une capacité à envisager l’avenir et à construire des projets (planifier les vacances, par exemple)
Le vécu dépressif, en tant qu’étape normale et naturelle du processus de deuil, se gère le plus souvent seul et avec l’aide de l’entourage. Un accompagnement au deuil ou un groupe de parole peuvent être soutenants pour traverser cette difficile période du deuil.
Quelques suggestions – À cette étape de la dépression, la présence et l’écoute demeurent nécessaires, et cela, même longtemps après le décès de l’être aimé. Il importe de manifester à l’endeuillé beaucoup de compréhension, même si cette étape se prolonge. La personne éprouve à répétition le besoin de parler de son deuil et de l’être cher décédé. Il faut lui prêter attention et l’inviter à exprimer comment elle se sent et quels sont ses besoins. L’entourage peut aussi tenter de l’aider à rehausser son image d’elle-même et sa confiance en soi en mettant en valeur ses capacités et son courage pour s’en sortir et soutenir toute initiative de sortie à l’extérieur, de travail ou de loisirs.
L’acceptation ou résignation – se reconstruire
La douleur ne disparaît pas mais elle s’intègre dans un parcours de vie, comme une cicatrice qui fera partie de soi à tout jamais. La tristesse sera toujours présente, mais son intensité change. Un nouvel équilibre devient possible : on peut alors vivre le souvenir de la personne disparue avec plus de sérénité, se sentir capable de mener une vie plus normale, et donc “faire avec”. Cette acceptation ressemble fort souvent à une résignation impuissante.
Les manifestations – La personne endeuillée peut vivre encore des périodes de tristesse, mais elle réussit à trouver un équilibre entre le souvenir douloureux et l’envie de vivre de manière plus normale. L’image de la personne aimée est présente, mais il lui est possible de se la rappeler avec plus de sérénité. Le retour à la vie normale se fait progressivement et l’évocation des souvenirs, des photos, les rituels de prières ou de visites au cimetière sont des rappels parfois douloureux, mais qui contribuent à l’évolution du deuil vers une certaine libération émotive.
Quelques suggestions – À cette étape, le rôle de l’entourage est surtout d’aider la personne à ne pas succomber à la croyance teintée de culpabilité qui lui fait croire que reprendre une vie normale après un deuil est synonyme d’oubli, de manque d’amour ou de sensibilité pour la personne défunte. Son intervention peut également aider la personne à se sentir plus confiante, à s’autoriser à vivre de nouveau et à se voir capable de retrouver un fonctionnement normal.